Au fil de l'AFP
MAKING OF I Un an sans Arman : toujours la douleur et toujours la quête de justice
Il y a un an, Arman Soldin, un jeune et brillant journaliste de l'AFP, était tué en Ukraine. Un événement qui nous a tous traumatisés.
Il n’y a rien de plus douloureux pour une rédaction que de perdre un ami et un collègue sur le terrain.
Par Phil Chetwynd, directeur de l'Information de l'AFP
Le JRI de l'AFP Arman Soldin est photographié sur un camion militaire ukrainien lors d'une mission pour l'AFP dans le Donbass, le 30 avril 2022. © Yasuyoshi Chiba / AFP
Arman était pleinement engagé dans son métier. Dans ses reportages en vidéo, il voulait faire entendre la voix des gens happés par la guerre. Sa mort le 9 mai 2023, à l’âge de 32 ans, n’est pas seulement un crime; c'est aussi une perte pour le monde du journalisme.
À l'AFP, nous tentons de lui rendre hommage chaque jour à travers notre couverture des conflits en Ukraine, à Gaza, au Liban, en Israël et d’autres guerres sur cette planète de plus en plus fragile. Ce n'est pas un choix. C'est notre mission, c'est dans notre ADN.
Nous continuons de couvrir les conflits, mais cela ne veut pas dire que nous acceptons la culture d'impunité qui sévit dans le monde avec l'assassinat, la torture et l'emprisonnement de journalistes.
Les statistiques sont choquantes : depuis 1992, plus de 950 journalistes ont été tués à travers le monde parce qu’ils exerçaient leur métier, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), une association basée à New York. Plus de 90 journalistes l’ont été à Gaza durant les sept derniers mois, une attaque sans précédent contre la liberté de la presse qui passe largement inaperçue.
En outre, plus de 350 journalistes ont été détenus l’année dernière dans le monde, selon le CPJ. Parmi eux, un reporter du Wall Street Journal arrêté en Russie, Evan Gershkovich, un ancien de l’AFP et ami de plusieurs d'entre nous.
Dans son classement de la liberté de la presse en 2024, l'ONG Reporters sans frontières (RSF) relève que les gouvernements et les politiciens sont les principaux responsables de l'absence de protection des journalistes.
S'y ajoute la montée de l'autoritarisme et du populisme qui contribue à dévaloriser le rôle des journalistes au sein de nos sociétés. Nous ne pouvons pas nous résigner. Il est essentiel que les médias unissent leurs forces et utilisent tous les recours possibles pour exiger des actions concrètes et repousser cette menace existentielle.
Les responsables de ces attaques contre la liberté de la presse doivent être identifiés, sommés de rendre des comptes et traduits en justice. Cela pourrait prendre du temps, mais nous devons rester déterminés.
- Près de Bakhmout -
Arman a été tué le 9 mai 2023 dans une attaque de roquettes Grad russes, alors qu’il couvrait avec des collègues la bataille sanglante pour la ville de Bakhmout. Le groupe, dans lequel se trouvaient également plusieurs soldats ukrainiens, semble avoir été directement visé, mais nous ne savons toujours pas s’il l'a été en raison de la présence de journalistes.
Il est encourageant que le parquet national antiterroriste en France ait ouvert une enquête préliminaire pour crime de guerre afin de déterminer les circonstances du décès d’Arman et l'origine des tirs. Nous attendons des réponses.
Nous tentons également d'obtenir davantage d'informations sur les circonstances de l'attaque d'un char israélien contre un groupe de journalistes dans le sud du Liban le 13 octobre dernier, qui a tué le journaliste de Reuters Issam Abdallah et blessé six reporters, dont notre photographe Christina Assi et notre JRI Dylan Collins. Christina a subi une amputation de la jambe et est restée cinq mois en soins intensifs.
L’une des armes les plus efficaces dans ce combat contre l’impunité est notre travail journalistique. L’avènement des techniques d’investigation sur Internet a énormément aidé les enquêteurs à contrer la désinformation. Associer ces techniques numériques à la collecte traditionnelle de preuves sur le terrain s’avère être un puissant mélange.
Dans le sud du Liban, des enquêtes de l’AFP et de Reuters ont prouvé qu’un char israélien était à l’origine de l’attaque meurtrière. Selon des experts militaires, il était évident que le groupe, clairement identifié comme des journalistes, a été délibérément visé. Cela n’a rien à voir avec le brouillard de guerre. Il s’agit d’un événement tragique et nous réclamons des réponses.
Pour tous les proches, amis et collègues d’Arman Soldin, le premier anniversaire de sa mort est un moment douloureux. La force de son caractère, son humanité et son humour ont laissé des souvenirs indélébiles. Nous pleurons sa disparition et continuerons de réclamer justice.